Médecins de la Grande Guerre
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Le Capitaine Hérail commit l'irréparable et fut acquitté
sous les applaudissements. Hérail au Conseil de Guerre Le capitaine Hérail
fut jugé au Conseil de Guerre de Paris le 10 avril 1915 pour avoir tué son
épouse dans des circonstances très particulières. En 1904, le capitaine Hérail du 11ème hussard avait épousé Henriette Courel. Tous deux s'aimaient et eurent trois enfants. Quand
éclata la guerre, vaillante comme toute Française, Henriette dit un suprême adieu
à celui qui partait combattre en Lorraine et, avec ses trois enfants, demeura à
Narbonne. Et puis, voilà qu'en novembre, la jeune femme apprend que le régiment
est revenu et que son mari est en garnison à Compiègne. Alors, brusquement,
elle accourt le rejoindre et loue une chambre d’hôtel. D'autres femmes d'officiers
avaient faite comme elle. Rapidement, devant l’ampleur du phénomène, un ordre
sévère du commandant en chef prescrivit le départ des épouses. Mme Hérail,
seule ne voulut pas obtempérer et demeura inébranlable. Alors le
lieutenant-colonel Moisseville, collectivement,
rappela aux officiers son ordre formel. Nouvelles abjurations du capitaine
auprès de sa femme et nouveau refus de celle-ci. Le 12 décembre, le colonel
convoqua le capitaine Hérail à son bureau. N’osant
avouer son impuissance à se faire obéir de sa femme, le capitaine apparut comme
une sorte de révolté devant son chef en lui disant que sa femme était libre
d’habiter où elle voulait et que sa présence paisible et digne était moins
scandaleuse que celle de toutes les irrégulières que tolérait le général,
etc... Niant ses responsabilités vis-à-vis de ses chefs, l’excellent officier
fut menacé de 15 jours d’arrêt de rigueur, de rapport au général, de radiation
de la Légion d'honneur, et aussi de traduction devant un Conseil de guerre pour
refus d’obéissance en territoire en état de guerre. Mais Mme Hérail restait encore inébranlable. Le capitaine avait
toujours eu l'estime de ses chefs. Ces derniers voulurent alors tenter un
suprême effort. En leur nom, le commandant Bouchez fut chargé d'aller à l’hôtel
où résidait Mme Hérail et de faire appel au sentiment
de devoir et d’honneur du capitaine. L’entretien dura une heure et de sa
chambre, Mme Hérail entendit toute la conversation et
put se rendre compte que d'elle seule dépendait l’honneur ou le déshonneur de
son mari, la continuation de sa carrière qui s'était annoncée si belle, ou la
honte, en face de l’ennemi, de comparaitre en conseil de guerre avec l’inculpation
de mettre ses affections intimes au-dessus de son devoir de soldat. Tout cela,
le commandant Bouchez l'avait dit, tout cela, elle l‘avait entendu. Et quand
son mari se précipita vers elle pour avoir sa réponse, il n’obtint que son
refus : « Je ne partirai pas. Et si cela
devait arriver, ce sera à jamais fini
entre nous. » Cette fois, le malheureux
vit rouge. D'un bond, il fut dans sa chambre, s'empara, sans être vu du
commandant, de son revolver d'ordonnance chargé de six cartouches
réglementaires et revint vers sa femme. - Partiras-tu, oui ou non ? - Non. Trois coups de feu retentirent. Quand le
Commandant Bouchez se précipita, il vit un cadavre qui gisait à terre, et à ses
côtés le meurtrier, son revolver encore
fumant en main. Tel est l'homme qui comparut devant ses pairs au conseil de
guerre. C'est M. le bâtonnier Henri Lobert qui plaida
pour lui. L'interrogatoire sur le fond commence ; c’est un long monologue de
l'accusé, mais un monologue fait à voix si basse, entrecoupé de tant de
sanglots, qu'il est bien difficile de le suivre. «
Ma pauvre femme n'était pas raisonnable, dit-il. Elle n'a jamais voulu
m'écouter. Je ne lui demandais pourtant que des choses normales. C'étaient des
discussions continuelles, qui duraient quelque fois pendant toute la nuit.
Cette existence devait avoir une répercussion déplorable sur la santé de ma
pauvre femme J'ai essayé tous les moyens de calmer la malheureuse par
l'affection, par la fermeté. Je n'arrivais à rien. J'étais toujours obligé de
céder pour éviter un malheur plus grand. Et cette continuelle agitation nuisait
à ma carrière militaire ; si je rentrais à la maison en retard d'un quart
d’heure seulement, c'était une scène. La pauvre femme, la pauvre femme ! Que
faire, mon colonel ? Je ne savais plus que faire. Enfin ! » Et, de
nouveau, le capitaine Hérail pleure. Pour éviter des
difficultés de ménage, il donne un jour sa démission mais quelques temps après
sa femme l’oblige à la reprendre. « Cela me fit plaisir, dit le capitaine,
car après avoir passé 13 ans à l’armée et pris part à plusieurs campagnes en
Algérie et Tunisie, il m’était pénible de m’en aller sans avoir obtenu mon
troisième galon. » En revenant à la scène qui provoqua le drame, le
capitaine s’écrie doucement ; « La
persuasion ne la touchait pas, la fermeté n’aboutissait à rien. Que faire mon
colonel ? » Le capitaine poursuivit son douloureux
récit et raconta ses déboires quand on l’envoya à Lunéville puis au Maroc où sa
femme, contre son gré, voulait le suivre. Il avoua alors à cette époque à son
colonel les exigences de sa femme et ce dernier, compréhensif, lui arrangea une
mutation à Tarascon où il put passer deux années assez tranquilles. Et puis ce
fut l’ouverture des hostilités et le départ vers la Lorraine. Le président : « Vous avez enseigné la discipline à plusieurs
générations : comment avez-vous pu aller à l’encontre de l'ordre de votre
colonel nous demandant de vous séparer de votre femme ? » Le capitaine répondit : « J'ai fait tout mon possible ; je n’y
ai pas réussi. » Le président : « Pourquoi, la veille du drame, n’avez-vous
pas expliqué votre situation à votre colonel ? » Le capitaine : « Je regretterai mon silence toute ma vie. » Ce fut le capitaine Boucaumont,
glorieux blessé, décoré de la Légion d’honneur, ami de la famille, qui, dans
une déposition qui fut la meilleure plaidoirie, vient demander aux juges l’acquittement
du meilleur des amis et du meilleur des soldats. Quant au commissaire du
gouvernement Gaffler, dans son réquisitoire, il commence
à reprocher à l'inculpé de n’avoir pas mis toute sa confiance en ses supérieurs
en leur cachant sa situation de famille. Dans ses conclusions, le magistrat
militaire réclame une condamnation sans toutefois s'opposer à l'admission de
circonstances atténuantes. Toute la salle est debout quand le président Jacquillat donne la parole à Mr Henri-Robert. Dans une de
ces magnifiques plaidoiries dont il est coutumier, l’honorable défenseur
commence par demander l’acquittement de son client puis termine par ces
mots : « Nous sommes à une
époque où la France a besoin de tous ses enfant. La cavalerie française attend,
frémissante le moment de marcher en avant. Renvoyé à la tête de son escadron,
le capitaine Hérail, est prêt à donner sa vie pour la
grandeur de la France. » Les applaudissements surgissent de
toutes parts. Les débats sont terminés. L’arrêt après dix minutes de délibération est rendu. Le
président en donne lecture… Sur la question d’homicide, par 5 voix contre 2 :
Non, le capitaine Hérail n’est pas coupable. En
conséquence, le capitaine Hérail est acquitté sous
les applaudissements de toute la salle. Epilogue : Le capitaine Herail tua la femme qu’il aimait dans des circonstances
particulières liées à la guerre. Cette histoire constitue une véritable tragédie grecque. Elle fut sans doute unique dans l’histoire de la
Grande Guerre. Que devint le capitaine Hérail après le jugement ? Repartit-il au
combat ? Survécut-il à la guerre ? Peu importe finalement les
réponses. Une chose est certaine, cette histoire traversera le temps parce
qu’elle continuera à nous révéler, bien mieux que la plupart des récits de
faits d’arme, que la guerre signifie d’abord
la défaite de l’amour, la
destruction familiale. Dr
P. Loodts Ce texte
établi d’après plusieurs articles de presse parus à l’époque : « Il tue
sa femme et est acquitté ». Cette dépêche de l’agence Havas est reprise
dans les principaux quotidiens de Bourgogne dont « Le Bien
Public » et « Le Courrier de Saône-et-Loire » qui la cite, en
date du dimanche 11 avril 1915. |